L’infortune de Tchaïkovski ou La plus russe des musiques classiques

Premier, pianistique, triomphant

Le Piano Concerto No.1 in B-Flat Minor de Tchaikovski n’est pas seulement le premier concerto pour piano et orchestre dans les œuvres du compositeur russe le plus célèbre. Cette oeuvre est aussi la première reconnue comme ayant ouvert la voie du genre des concertos classiques dans la musique russe.

Il est difficile d’être le premier

Mais le début des travaux sur cette oeuvre ne prédisait pas un destin si prestigieux.

En octobre 1874, Tchaikovski écrit à son frère:

« Je suis désormais plongé dans la composition d’un concerto pour piano. Je veux absolument que Rubinstein le joue; mais pour l’instant les choses vont difficilement et cela me demande beaucoup d’efforts.« 

(* Nikolaï Rubinstein, fondateur du Conservatoire de Moscou, pianiste et ami de Tchaikovski)

Le 24 décembre, lors d’une sorte de première à huis clos, assisté par Rubinstein et par un autre ami Nikolaï Hubert, le critique musical, professeur du Conservatoire de Moscou, Tchaikovski joue sa nouvelle oeuvre. Il fait beaucoup confiance à Rubinstein et Hubert, et attend avec impatience leur opinion.

« Cela ne vaut rien »

Hélas… Dans une lettre à une amie, le compositeur décrit ainsi la scène:

« Nikolaï (Rubinstein) a lâché un flot de paroles, d’abord calme, puis de plus en plus en prenant le tonnerre de Jupiter. Il s’est avéré que mon Concerto n’était pas bon, qu’il serait impossible de le jouer… qu’il était médiocre en tant qu’oeuvre, et qu’il n’y avait que deux ou trois pages que l’on pourrait garder. <…> Un étranger qui serait entré dans cette pièce aurait pensé que je suis un débutant sans talent, qui ne comprend rien, qui est venu chez le célèbre musicien pour le harceler avec sa musique. »

Pour Tchaïkovski, l’opinion unanime des deux amis a été un coup féroce. Au bout d’un moment, l’offense sera oubliée. Nikolaï Rubinstein changera d’attitude envers le Concerto et l’interprètera plus d’une fois en tant que pianiste et chef d’orchestre.

La première

La première mondiale a été jouée par le pianiste allemand Hans von Bülow (élève de Franz Liszt) le 25 octobre 1875 à Boston aux États-Unis (chef d’orchestre – Benjamin Lang). Le public a rencontré avec ravissement l’oeuvre de Tchaïkovski.

Hans von Bülow a écrit à Tchaikovski à propos du Concerto:

« Il est si original, sans prétention, si noble, si puissant, si intéressant dans les détails. L’abondance de détails ne nuit pas à la clarté et à l’unité du sens général. <…> Je serais fatigué de lister toutes les qualités de votre travail, les qualités qui me font féliciter le compositeur et tous ceux qui apprécieront ce travail. »

En Russie, à Moscou, la première a eu lieu un mois après la première à Boston. La performance du jeune pianiste Sergueï Taneïev a beaucoup plu au compositeur.

Et la musique fut!

Piano Concerto No.1 in B-Flat Minor; Op.23; Orchestre philharmonique de Berlin; chef d’orchestre – Herbert von Karajan, piano – Sviatoslav Richter. Enregistrement de 1963.

I. Allegro non troppo e molto maestoso – Allegro con spirito
II. Andantino semplice – Prestissimo
III. Allegro con fuoco

Comme dans toute composition exceptionnelle particulièrement appréciée par le public, le Premier Concerto de Tchaikovski a ses «passages préférés». Pour les auditeurs russes, c’est l’introduction triomphante du Concerto, largement utilisée dans des films et des publicités.

Les mélomanes américains aiment davantage un autre passage. Tchaikovsky a écrit avec étonnement qu’aux États-Unis, il a fallu jouer trois fois la troisième et dernière partie du Concerto. Sans doute, les Américains étaient conquis par une chanson de printemps traditionnelle, qui est devenue le thème principal du finale.

Quelles que soient les préférences des mélomanes de différents pays, ce Concerto comme aucun autre est associé à la Russie.


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