En 1903, Anton Tchekhov a 43 ans. Il est gravement malade. Il plaisante que selon ses calculs de médecin, il est resté dans ce monde au moins trois ans de trop. Il envoie sa dernière pièce au Théâtre de Moscou huit mois avant sa disparition, six mois avant – il assiste à sa Première, un mois avant – parait la première édition imprimée. La Cerisaie est la dernière oeuvre d’Anton Chekhov.
Anton Tchekhov (nom en russe: : Антон Павлович Чехов) - 1860-1904 - écrivain russe, dramaturge. En 25 ans, Tchekhov a créé plus de 500 œuvres différentes, beaucoup sont devenues des classiques de la littérature mondiale. Sa femme - Olga Knipper - actrice, jouait les rôles principaux dans ses pièces. En plus du travail littéraire, Tchekhov était un médecin et attachait une grande importance aux activités caritatives.

Pourquoi ma pièce est-elle si obstinément appelée drame sur les affiches et dans les publications des journaux? Nemirovitch et Alexeev n’y voient absolument pas ce que j’y ai écrit, et je suis prêt à vous donner ma parole que ni l’un ni l’autre n’a lu ma pièce avec attention.
Anton Tchekhov à Olga Knipper, 10 avril 1904Depuis plus d’un siècle les avis sur des dialogues de la pièce sont divisés :
- les uns voient en Tchekhov le fondateur de la littérature de l’absurde : les personnages ne s’écoutent pas et ne s’entendent pas; leurs répliques ne sont pas cohérentes;
- les autres soutiennent que les dialogues de Tchekhov relèvent d’une pièce ordinaire et c’est au metteur en scène de construire l’action avec précision.
Le Temps qui passe. Le Temps qui presse.
Le personnage principal invisible. La comédie est remplie de points de repères temporels. En voici quelques-uns de l’acte I:
- le train a 2 heures de retard;
- il y a 5 ans que Mme Ranievski est partie à l’étranger;
- Lopakhine se rappelle quand il avait 15 ans; il s’apprête à partir à cinq heures et rentrer dans trois semaines;
- Firss se rappelle d’autrefois – « il y a quarante ou cinquante ans »;
- Gaiév se déclare de la génération de 1880 et propose de fêter le jubilé centenaire de l’armoire;
- la date fatale est déjà fixée: le 22 août.
L’atmosphère
Sentez-vous l’agitation et la confusion de l’acte I ?
L’atmosphère entoure tout : nous, les maisons, les lieux, les événements de la vie, etc. Entrez, par exemple, dans une bibliothèque, une église, un cimetière, un hôpital, chez un antiquaire, et vous saisirez immédiatement une atmosphère qui n’appartient à personne.
Michail Tchekhov«L’atmosphère» était un point clé de la méthode de jeu d’acteur de Mikhail Tchekhov, le neveu de l’écrivain. Il a construit toute une «échelle» d’états émotionnels qui devraient être réalisés sur scène: l’atmosphère du personnage, l’atmosphère de la scène, de l’épisode, de l’acte – et l’atmosphère générale du spectacle.
Silences
Soudain, après des monologues orageux et des effusions lyriques tout le monde se tait. Il y a 31 pauses dans La Cerisaie, et surtout dans l’ « oisif » acte II.
Sommeil
Remarquez qui (et quand) dort dans la pièce, c’est important.
Cerisaie
Un personnage souvent invisible sur scène. Abattue à la fin par des bûcherons, c’est la cerisaie qui provoque les confessions les plus intimes et marque le tournant du sujet.
Campagne – Ville
Dans la remarque de l’acte II « on voit le chemin qui mène à la propriété de Gaiév ». Le frère et la sœur sont donc copropriétaires d’un domaine très étendu. L’action de la pièce se déroule à la campagne mais
- nous sommes à environ 20 km de la ville ;
- les héros y vont pour déjeuner ;
- c’est là que la cerisaie est vendue aux enchères, ce qui oblige les héros à déménager de la campagne à la ville.
Jadis – Maintenant
- Jadis, il n’y avait à la campagne que des propriétaires et des paysans ; maintenant, il vient des gens pour passer l’été…
- Dans le temps, à nos bals, il venait des généraux, des barons, des amiraux, et maintenant nous envoyons chercher l’employé de la poste et le chef de gare. Et ceux-là même viennent sans plaisir…
- Autrefois les moujiks étaient auprès des maîtres, les maîtres étaient auprès des moujiks, et aujourd’hui chacun est de son côté ; on n’y comprend plus rien.
- Avant les cerises étaient douces, juteuses, parfumées ; on savait la manière de les préparer. Maintenant il n’y a des cerises que tous les deux ans et alors même on n’en sait que faire ; personne ne veut les acheter.
Bruit d’une corde qui se casse
Un symbole clé. On retrouve des parallèles chez Gogol, Tourgueniev, Kouprine, dans les traductions russes d’Hamlet.
Chez Leon Tolstoï, dans l’épilogue de Guerre et Paix Pierre Bezukhov dit « Lorsqu’on s’attend à la voir se rompre, cette corde trop tendue, lorsqu’on sent que la catastrophe est imminente. On s’unit, on se groupe, et l’on agit ensemble pour résister au bouleversement général ».

Comprendre les personnages
Des remarques d’Anton Tchekhov concernant les personnages (tirés des extraits de lettres à ses contemporains) :
Mme Ranievski
Il n’est pas difficile de jouer le rôle de Ranievski ; il faut seulement prendre le ton juste des le début; il faut trouver son sourire et sa façon de rire ; il faut savoir s’habiller <…> Non, je n’ai jamais eu l’intention d’assagir Ranievski. Seule la mort peut calmer une telle femme <…> Elle est intelligente, distraite, très bonne; elle est aimable avec tout le monde, a toujours un visage souriant
Lopakhine
Le rôle de Lopakhine est un rôle centrale. S’il n’est pas réussi; toute la pièce sera manquée. <…> Car si Lopâkhine est pâle, joué par un acteur pâle, le rôle et la pièce échoueront. <…> Lopakhine ne doit pas être joué par un braillard, il n’est pas indispensable que ce soit un marchand. <…> c’est un honnête homme dans tous les sens du mots, il doit se comporter tout a fait correctement en intellectuel, sans plénitude, sans grimaces <…> En choisissant un artiste pour ce rôle, il ne faut pas perdre de vue que Varia, fille sérieuse et religieuse, aime Lopakhine; elle n’aurait pas aimé un koulak. <…>
Lopâkhine marche en gesticulant, à grands pas, réfléchit tout en marchant, suit une ligne droite. Il n’a pas les cheveux courts, c’est pourquoi il les rejette en arrière d’un coup de tête. Quand il est perplexe, il se gratte la barbe de l’arrière vers l’avant, c’est-à-dire du cou vers la bouche.
Ania et Varia
N’importe qui peut jouer le rôle d’Ania, même une artiste tout à fait inconnue, pourvu qu’elle soit jeune et ressemble à une fillette, et qu’elle parle avec un timbre de voix jeune et sonore. Ce rôle n’est pas important.
Varia est un rôle plus sérieux <…> C’est une silhouette vêtue de noir, une bonne sœur, pleurnicheuse, etc., etc.
Charlotte
Charlotte est un rôle important. <…> Il y faut une actrice pleine d’humour. <…> Charlotte n’écorche pas le russe, elle le parle correctement; de temps à autre seulement, au lieu d’une consonne molle, elle prononce une consonne dure à la fin d’un mot, et mélange le masculin et le féminin des adjectifs.
P.S.
Vsevolod Meyerhold à Anton Tchekhov, le 8 mai 1904 :
Votre pièce est abstraite comme une symphonie de Tchaïkovski. Et le metteur en scene doit, avant tout, y percevoir des sons. Au troisième acte, sur le fond de trépignement bête – et c’est ce trépignement qu’il faut entendre -, l’horreur pénètre les personnages insensiblement sans qu’ils s’en aperçoivent : « La Cerisaie est vendue ». Ils dansent. « Vendue ». Ils dansent. Et comme ça jusqu’à la fin. Quand on lit la pièce, le troisième acte produit la même impression que ce tintement dans les oreilles du malade de votre nouvelle, Le Typhus. Comme une démangeaison. Une gaieté dans laquelle se font entendre les bruits de la mort. Il y a dans cet acte quelque chose de terrible à la Maeterlinck. Je ne fais cette comparaison que faute de pouvoir m’exprimer avec davantage de précision. Votre grand art est incomparable. Quand on lit des pièces d’auteurs étrangers, votre originalité vous situe tout à fait à part. Et pour ce qui est de la dramaturgie, il faudrait que l’Occident prenne des leçons chez vous. <…> Dans La Cerisaie comme dans les drames de Maeterlinck, il y a un héros qui n ‘est pas présent sur scène, mais dont on sent la présence chaque fois que le rideau tombe.